Le sculpteur Victor Ségoffin (1867-1923)
Le nom de Ségoffin est lié à Corronsac, car la demeure de cette famille fut, au XIXe siècle, le bâtiment qui accueille de nos jours la mairie de notre village. On peut également voir, à l’entrée du cimetière de Corronsac, le caveau de cette famille.
Le sculpteur Victor Segoffin, grand Prix de Rome, fit partie de la "bande des Toulousains" qui, à la fin du XIXe siècle, connurent à Paris la consécration artistique et sociale. Comme pour certains de ses émules : Seysses, Théodore Rivière, Laporte Blairsy, Maurice Bouval, le jugement d’une histoire sélective a contribué à la méconnaissance d’une œuvre conciliant pourtant sensibilité et savoir-faire virtuose.
Joseph Jean Ambroise Victor Ségoffin naquit à Toulouse le 5 mars 1867. Il fit ses études au lycée Pierre de Fermat avant de devenir élève de Ponsin Andarahy à l’École des Beaux-Arts de Toulouse. Orphelin, il s’engagea dans l’armée en 1887 et, cantonné à Paris, il suivit les cours de l’École des Arts Décoratifs. Son professeur, Aimé Millet, le poussa à tenter le concours d’entrée de l’École Nationale des Beaux-Arts. Il y fut reçu sixième en 1888. Contre toute attente, il ne choisit ni l’atelier de Falguière ni celui de Mercier, qui pourtant le connaissaient et l’encourageaient, mais celui de Cavelier : "Voici encore un de mes élèves de l’école qui désire bien fort d’entrer dans votre atelier et recevoir vos doctes leçons - et il est toulousain !- c’est donc double succès pour vous et vos élèves !" (lettre du 1er mars 1888 d’A. Millet à Cavelier).
À l’École, il poursuivit des études brillantes. Ses professeurs, Cavelier, puis Barrias de 1894 à 1897, notaient ses grandes aptitudes, son travail excellent et ses progrès constants, d’autant plus méritoires qu’il devait réaliser des "travaux lucratifs", n’ayant pour vivre que la pension allouée par le département de la Haute-Garonne.
Dès 1889, il monta en loge pour le Grand Prix de Rome. Il fut second Grand Prix en 1895, premier second Grand Prix en 1896, enfin Grand Prix en 1897. De 1897 à 1902, il fut pensionnaire à la Villa Médicis. En Italie, il parfit sa connaissance de Florentins du Quattrocento, mais aussi de Michel Ange et de Bernin qui confortèrent un penchant baroque.
À partir de 1890 et jusqu’à sa mort, il exposa au Salon des Artistes français. Il obtint une médaille d’honneur en 1894, de troisième classe en 1905. Il fut médaillé de bronze à l’Exposition Universelle de 1900. Ce cursus artistique fut couronné socialement par l’attribution de la cravate d’officier de Légion d’honneur. Professeur à l’École Nationale des Beaux-Arts, Victor Ségoffin allait entrer à l’Institut lorsque la mort le frappa. Ses envois annuels manifestaient un sens aigu de l’observation servi par un style nerveux, dans ses nombreux portraits, et d’une fougue toute baroque, exprimée dans les sujets symbolistes. Cette dualité stylistique satisfit les exigences de commanditaires privés qu’il portraiturait avec probité, sans complaisance, et les instances officielles pour lesquelles il réalisa des œuvres plus ambitieuses, à portée didactique.
Léon Bonnat
Thérèse Combarieu
L’art du portrait de Victor Ségoffin s’exerça surtout auprès de la haute bourgeoisie industrielle et politique - Portraits d’Eugène Schneider (1902), de Thérèse Combarieu (1905), de Dujardin Beaumetz(1914), de Théodore Delcassé (1908), du Maréchal Pétain (1921), du’ Maréchal Foch (1923), de Poincarré. Victor Ségoffin fut aussi le portraitiste d’artistes reconnus par un large consensus social : Portraits d’Harpignies (1906), de Ziem (1907), d’Albert Maignan (1909), de Léon Bonnat (1910), d’Ed. Nadaud (1922), de Roll. Il témoigna dans ces œuvres des leçons du modelage réaliste apprises de Barrias, du savoir-faire virtuose de l’Ecole, qui permettaient un rendu fidèle de l’enveloppe des modèles. Cependant, au-delà l’exactitude de la lettre, il sut aussi saisir l’esprit, le trait saillant d’un caractère ou d’une attitude qui marquent une personnalité.
Danse sacrée
VercingétorixCette sensibilité à "l’idée", Victor Ségoffin l’exprima dans des œuvres plus ambitieuses, très symbolistes : Mauvais Génie, La Charité aux Pauvres Honteux, Semeur de Mondes, la Terre - la Vie la Paix, l’Homme et la Misère Humaine. Cette veine créatrice put s’épanouir à partir de 1903-1904, grâce aux sollicitations de l’État pour lequel il modela la Danse Sacrée et La Danse Profane ou Guerrière, destinées au Palais de l’Élysée.
Sous le sous-secrétariat de Dujardin Baumetz dont le credo artistique coïncidait avec les goûts syncrétistes du sculpteur, les commandes de l’État se multiplièrent : le Temps et le Génie de l’Art, le Monument Funèbre à Voltaire, Vercingétorix. Certains bustes tels ceux d’Harpignies, de Ziem, de Bonnatl, entrèrent alors dans les collections des Musées du Luxembourg. Ce côté "officialisé" de l’art de Ségoffin lui valut en retour de tomber dans l’oubli, voire d’être méprisé par une Histoire de l’Art qui rejeta en bloc toute tendance qui n’était ni d’avant-garde, ni progressiste. Aujourd’hui, ses sculptures ont quitté leurs emplacements d’origine : la Danse Sacrée et la Danse Profane ne sont plus à l’Élysée, le Temps et le Génie de l’art n’ornent plus la cour du Louvre. Le Monument à Voltaire et Vercingétorix n’ont plus place au Panthéon. Quant aux œuvres conservées dans les Musées, elles sortent à peine des réserves.
Pourtant, dans nombre de ses sculptures, la Danse Guerrière, le Temps, Victor Ségoffin fit preuve d’un sens des rythmes mouvementés atteignant cependant à l’équilibre. Le modelé, compromis entre les leçons de Barrias, de Falguière et l’art de Rodin, affirme une palpitation de surface à l’antithèse de la froideur "académique".
Victor Ségoffin et Toulouse
L’art de Ségoffin, impliquant une progression sans rupture parfois encombrée de redites, ne pouvait qu’irriter le Tout Paris ouvert à la création moderniste des années 20. Il est curieux, par contre, que ce sculpteur n’ait pas bénéficié de commandes ou d’achats de la part de Toulouse, peu suspecte d’ouverture aux avant-gardes ! Victor Ségoffin avait pourtant affirmé, sa vie durant, son attachement à sa ville natale dans laquelle il revenait tous les étés, où il mourut et fut enterré.
Certes, Victor Ségoffin était trop jeune en 1892 lorsque P. Pujol projeta la décoration sculptée du Capitole de Toulouse. Falguière, Mercié, Théodore Rivière, Barthélemy, Carles, Labatut, Marqueste furent alors pressentis. Mais, lorsqu’en 1911 P. Pujol fut obligé après la mort du sculpteur Barthélemy de lui trouver un remplaçant, il pensa à Seysses et ne mentionna pas V. Ségoffin pourtant en pleine gloire.
L’autre rencontre manquée avec Toulouse eut lieu après la mort du sculpteur en 1933. À cette date, en effet, la décoration du Jardin des Tuileries aménagée sous le sous-secrétariat de Dujardin Baumetz fut démantelée sur ordres d’Anatole de Monzie. L’État offrit alors à Toulouse, en juillet 1933, le dépôt du groupe Le Temps et Le Génie de l’Art. La ville accepta le 22 novembre 1933 mais la missive officielle ne partit que le premier décembre. Or, le15 novembre 1933, le maire de Saint-Gaudens, ministre des pensions, Ducos, en demandait l’attribution. Le 21 décembre le ministre de l’instruction Publique et des Beaux-Arts, tranchait en faveur de Saint-Gaudens, prétextant l’antériorité de la requête. L’arrêté du dépôt fut signé le 27 décembre. La réaction du maire de Toulouse fut pleine d’acrimonie. Dans une lettre peu courtoise, il écrivait au ministre : "vous ne trouverez pas surprenant que je me sois abstenu par scrupule de délicatesse à me "jeter" sur une des œuvres qui décorent le Carrousel et de laquelle on estime, paraît-il, en haut lieu, bien plus qu’à Toulouse, qu’elle représente un style peu apprécié de la génération actuelle". Les interventions de l’exécuteur testamentaire du sculpteur et de sa veuve ne changèrent pas l’attribution. Le groupe ne put donc pas être placé, comme cela avait été envisagé, au bout des Allées Alphonse Peyrat face à l’entrée du Grand Rond*. Toulouse ne possède donc aucune œuvre monumentale du sculpteur.
Le Musée des Augustins conserve seulement un bas-relief de plâtre de 1895, épreuve du prix de Rome, David, vainqueur de Goliath, donné par l’Etat en 1904 et Judith présentée au concours Lemaire le 1ermars 1896 Par ailleurs, le Muséum d’Histoire Naturelle expose un Buste d’Emile Carthailac présenté au salon de 1923.
* Il y aurait, en enfilade, Le Monument à la Gloire des Combattants de la Haute-Garonne, Le Temps et le Génie de l’Art, Le Monument aux gloires de Toulouse, Au sein de la Vie et, non loin, Le Monument aux Morts de la Guerre de 1870 – 1871.
Rédigé par Luce Rivet, dans la "Revue du Comminges", 2ème trimestre 1988