À l’occasion de l’Exposition scolaire de 1885, le ministre de l’Instruction publique avait prescrit à tous les instituteurs d’écrire l’histoire de leur commune. Ces études ont été centralisées à Paris, puis réparties dans les Académies.
Voici, ci-dessous, celle rédigée par Julia Delprat, institutrice de Corronsac, en juillet 1886.
Monographie de Corronsac
Voir la monographie manuscrite écrite par madame Julia Delprat
Retranscription:
- I -
Située au sud de Toulouse et à l’extrême limite ouest de l’arrondissement de Villefranche, cette commune est bornée au nord par Rebigue et Pompertuzat, à l’Est par Deyme et Montbrun, par Aureville à l’ouest et Espanès au midi. Son étendue est de 634 hectares. La terre est forte, argileuse par conséquent, toutefois en fouillant un peu, on trouve la marne, et, en certains endroits, le sable pur.
La distance du canton languedocien de Montgiscard, dont elle dépend, est de dix kilomètres. Elle est à vingt-quatre kilomètres de Villefranche, son chef-lieu d’arrondissement, et à dix-neuf kilomètres de Toulouse. Placée dans la vallée de l’Hers, composé d’un massif de collines plus ou moins élevées couvertes en grande partie de vignes, de blé, de maïs, cette localité n'offre à l'œil aucun site assez pittoresque pour tenter le pinceau du peintre.La seule vue assez jolie est celle prise du côté sud du château. Là s'étendent sous le regard les ondulations plus ou moins verdoyantes du terrain, et, dans le lointain, se dresse dans sa blancheur immaculée, la crête dentelée des Pyrénées.
Le pays quoique très fertile manque d’eau. Les eaux pluviales seules l’arrosent : pas de rivières, pas de lacs, pas de canaux, un simple et bien modeste petit ruisseau, celui de Trucoporès qui prend sa source à Montbrun pour se jeter dans l’Ariège à Pinsaguel après avoir traversé Aureville et Lacroix-Falgarde, est le seul cours d’eau qui arrose Corronsac ; encore faut-il, ajouter, pour être dans le vrai, qu’il est presque toujours à sec quoiqu’il reçoive dans son sein quelques filets d’eau dont le lit est ordinairement rempli d’herbes. Plusieurs fontaines d’excellente eau potable, sans compter les puits que presque chaque maison possède, suffisent aux besoins des Corronsacains.
Malgré les collines dont j’ai parlé plus haut, Corronsac n’est pas élevé, son altitude n’est que de 273 au-dessus du niveau de la mer.
Son climat est celui que nous désignons sous le nom de Girondin. Comme à Toulouse les printemps y sont ordinairement pluvieux, les étés chauds et secs, les automnes longs. Les hivers y seraient relativement doux si ce n’étaient de fortes et fréquentes gelées blanches. Malgré cela on y jouit en cette saison de belles journées égayées par un tiède soleil.
L’air y est pur et salubre. Les miasmes délétères qui pourraient s’exhaler des tas de fumier que l’ont voit devant la porte de quelques maisons sont vite chassés par le vent du sud-est que dans le Midi, on appelle poétiquement vent d’Autan. On dirait en vérité, qu’Éole a élu domicile dans cette contrée. Non seulement ce vent souffle fréquemment, mais il est des fois d’une violence telle qu’il tord et brise les arbres, enlève les tuiles du toit et rend le séjour de Corronsac très désagréable. Il faut être né dans le pays pour ne pas en être incommodé. C’est surtout l’hiver que le vent souffle souvent, il laisse quelque répit pendant les autres saisons.
-II-
La population, de 293 habitants qu’elle était en 1881, est descendue à 252, dénombrement de 1886.
La cause principale du dépeuplement de la commune est, comme presque toutes les communes rurales, la désertion des habitants pour la ville. On quitte son village pour aller à sa ville avec l’espoir de faire fortune, et l’on n’y trouve le plus souvent que misères et ennuis. C’est désolant de voir nos campagnes devenir désertes et manquer de bras alors que dans les villes il y a plus d’ouvriers qu'il ne faut. Quand est-ce que nos paysans comprendront que le vrai bonheur et la vraie richesse se trouvent dans la maison où ils sont nés, dans cette campagne qu’ils abandonnent pour aller se perdre quelquefois dans le gouffre sans fond de la grande ville. Nous qui sommes chargés de donner à leurs fils une parcelle d’instruction, faisons nos efforts pour faire comprendre à ces enfants que la profession de cultivateur est, pour ainsi dire, la plus noble des professions.
Corronsac n’est pas un village proprement dit : c’est une commune, formée de plusieurs hameaux. Lasserre forme avec le moulin un hameau de huit feux et de vingt-sept habitants. Vient ensuite, près du château, le hameau de la Castelle, trois feux et douze habitants ; puis celui des Sémiols : huit feux et dix-huit habitants. C’est aux Sémiols que se trouvent la maison d’école, la mairie et l’église. Plus bas, au fond de la côte, est la Place qui forme aussi un autre groupe composé de dix feux, trente-six habitants ; La Bourdette est un quartier de maisons isolées : dix feux et vingt-huit habitants ; Piançan, cinq feux et vingt et un habitants. Le reste de la population demeure dans des maisons ou des métairies éparses çà et là dans la campagne.
Malgré mes recherches dans les archives de la commune, malgré mes soins à feuilleter les registres de l’état civil, rien n’a pu me renseigner sur l’organisation communale de Corronsac, antérieure à 1790. Ce qui est certain, c’est qu’il dépendait de l’ancienne jugerie du Lauragais, de la viguerie de Toulouse, du diocèse civil de Mirepoix, et qu’il faisait partie de la temporalité des archevêques. Lorsqu’en 1790, l’Assemblée constituante donna une nouvelle division à la France, Corronsac devint une commune. En 1799, il eut à sa tête un maire assisté d’un conseil municipal comme de nos jours.
La municipalité de Corronsac compte dix conseillers y compris le maire et l’adjoint. Ce sont : MM. Lavie Auguste, maire ; Pujol Jean, adjoint ; Armengaud Pierre, Balen Jean, Barély Bernard, Béca Jean, Calestroupat Louis, Déjean Baptiste, Maurel Alexandre, Pons Jean-Marie conseillers. Enfin, il faut mettre parmi les fonctionnaires municipaux M. Sarda Paul, garde-champêtre.
La commune, entièrement catholique, a pour desservant M. Sambrès Jean.
Corronsac dépend de la perception de Montgiscard, du même canton aussi pour la poste et le télégraphe.
La valeur du centime est de 31 fr.24. Les revenus annuels se montent à 116 francs. Ajoutons encore que les impôts extraordinaires doivent durer jusqu’en 1898.
-III-
La culture principale est le blé dont le produit annuel s’élève en moyenne à 1500 hectolitres.
Ce sont les bœufs qui tirent la charrue. Pour le dépiquage, on se sert de machines à battre mues par la vapeur ; plusieurs propriétaires dépiquent encore au rouleau.
La fenaison se fait à la faux, toutefois la faucheuse mécanique commence à faire son apparition.
Après le blé, on cultive en grand le maïs dont le produit annuel est de 1200 hectolitres.
Les vingt hectares de vignes donnent 200 hectolitres d’un petit vin aigrelet assez agréable à boire, mais peu monté en couleur, en quantité insuffisante à la consommation de la population. Jusqu’à l’an dernier, Corronsac avait heureusement été épargné par le phylloxera, on ne peut en dire autant maintenant. Les vendanges de 1885 ont été nulles. La population a dû faire du vin de raisins secs.
Les bois couvrent une surface de 18 hectares. Les coupes donnent environ chaque année de 40 à 45 stères.
En fait d’animaux, on voit de 250 à 300 moutons. Il n’y a de bœufs que juste ce qu’il faut pour la culture. Pour la vente, on élève beaucoup d’oisons, des dindons, des canards, des poules et, j’allais oublier, des cochons.
Le plaisir cynégétique est peu connu à Corronsac, cependant on chasse le lièvre, le lapin, la perdrix, la caille et, pour le plaisir de brûler de la poudre, on chasse aussi le blaireau, surtout à Monaco. Monaco est un bosquet appartenant à M. Balen Jean, conseiller. En homme intelligent, M. Balen a fait de ce bosquet le plus agréable séjour qu’on puisse imaginer. Rien n’a été négligé. On y trouve un canal d’une profondeur de 3 mètres sur une largeur de 6 mètres et une longueur de 125 mètres.
Au hameau de Lasserre est l’unique moulin de la commune, moulin à vent, cela va sans dire. Ce n’est pas l’eau plus ou moins bourbeuse du faible ruisseau de Trucoporès qui pourrait en faire tourner les meules.
Comme voie, de communication, il n’y a que quelques chemins vicinaux. Pas de moyen de transport pour aller au canton. Pour se rendre au chef-lieu d’arrondissement, il faut aller à Baziège, c’est-à-dire faire quatorze kilomètres à pied, et là prendre le chemin de fer jusqu’à Villefranche. Pour Toulouse, il suffit d’aller à Pompertuzat afin de prendre place dans la diligence de Montgiscard qui passe les lundi, mercredi, vendredi et dimanche de chaque semaine.
Corronsac est aussi peu bruyant que le pays est monotone : pas de foires, pas de marchés, rien. Le calme y est complet. Si ce n’était le sifflement aigu du chemin de fer, qui arrive jusqu’à nous quand le temps doit tourner au mauvais, sifflement qui nous rappelle que nous sommes à un pas de Toulouse, on se croirait en pays désert.
Les mesures en usages dans la localité sont les mesures légales du système métrique.
-IV-
L’étymologie même probable du nom de Corronsac est tout à fait inconnue.
Dans le temps, raconte la tradition, il y avait un couvent de templiers. Il aurait été détruit lors de la guerre des Albigeois. La chapelle du couvent est seule restée debout. Elle sert maintenant d’église paroissiale. Le noviciat des templiers était sur le versant nord d’un coteau près de la route n°12 d’intérêt commun de Montgiscard à Portet. Un pigeonnier et un puits à roue sont les seuls restes de ces temps reculés.
Il y avait aussi, toujours selon la tradition, un canonicat à la place de la métairie dès canoungés (des chanoines) ce nom seul est tout ce qui peut donner quelque crédit à cette assertion.
Le français est parlé par une faible partie des habitants, plus par les hommes que par les femmes. L’autre partie parle le patois de Toulouse avec quelques légères variations.
Grâce à l’instruction obligatoire, espérons-le, tous les enfants apprendront à parler le français ; il serait temps, en effet, que la langue de la nation, langue connue de l’univers entier, fut enfin comprise et parlée par les fils de la France. Pour si agréable, si poétique et si joyeuse que soit celle de Goudelin, le français lui est préférable.
Les mœurs ici sont pures et simples ; peut-être cela tient-il au manque d’occasion de s’émanciper qu’ont les jeunes gens, puisque nous n’avons ici ni billard ni café.
Le costume des hommes est la blouse et le paletot avec la casquette et le chapeau de feutre. Les femmes portent la robe ronde, le casavet c’est le nom consacré dans le midi pour désigner le caraco du nord ; pour la tête le bandeau blanc avec cravate et coiffe. Les jeunes filles élégantes portent un large chapeau de paille aux ailes étalées, dont la calotte est entourée d’un velours noir faisant brides. J’ai remarqué aussi que les jeunes filles, même encore enfant, portent au cou, les jours de fête, un ou plusieurs rangs de chaîne en or ou en argent retenant une croix de même métal.
Contrairement à certains habitants de la campagne ; les Corronsacains se nourrissent assez bien : bonne soupe de légumes frais ou de légumes secs, suivant la saison, avec addition de salé d’oie, de dindon, de canard ou de cochon. Peu de viande de boucherie, mais quelquefois de la volaille fraîche. L’usage où l’on était jadis de faire du pain de maïs n’existe plus, tout le monde se sert de pain de boulanger.
Quoique l’on récolte beaucoup de blé et de maïs, n’ayant ni épicier, ni boulanger, ni boucher, ni foires, ni marchés, tout ce qui est nécessaire à la vie ne se trouve pas à Corronsac, il s’en faut bien ; c’est pourquoi il faut aller faire ses provisions soit le mardi à Castanet, soit le jeudi à Montgiscard. Cela est tout au plus commode.
Comme monument Corronsac possède une église n’ayant rien de remarquable. C’est l’ancienne chapelle des templiers dont j’ai déjà parlé. La nef est du style ogival, mais par une singulière bizarrerie les fenêtres sont cintrées et appartiennent par conséquent au style roman. Le clocher à flèche fait en briques rouges date de trois ans à peine, il remplace un ancien clocher en forme de fer à repasser, bien préférable, paraît-il, sous le rapport de l’architecture.
Sur le sommet d’une colline au bord du chemin n°29 de Pompertuzat à Corronsac, et à droite du hameau de Lasserre est le château de L’Espinasse. Ce château n’appartient à aucun style proprement dit. Le pavillon central est flanqué de chaque côté d’une aile qui a la prétention de ressembler à une tour carrée. Ce château était mieux dans le temps. Les soi-disant tours plus élevées que le principal corps de bâtiment étaient comme celui-ci recouvertes en ardoises, mais un incendie dévora le haut de l’aile gauche. On l’arrangea provisoirement. Cet immeuble ayant plus tard été acheté par M. Ducasse, le nouveau propriétaire se contenta de faire baisser l’aile droite au niveau de l’aide incendiée, et les fit coiffer toutes deux d’un toit en tuile. Rien de si laid, de si désagréable à la vue que cet édifice aux tours plus basses que le pavillon du centre, cela lui donne un air écrasé des plus disgracieux ; rien d’aussi mauvais goût que cette toiture mi-partie en tuile, mi-partie en ardoises. On voit que M. Ducasse a d’autres châteaux que celui de Corronsac, sans quoi, assurément, il ne le laisserait pas ainsi.
Quant au vrai château ayant appartenu à la famille d’Aigues-Vives, il était près du hameau de Hurtaud. À sa place s’élève la maison de construction récente de M. Moulas, un des plus riches propriétaires de la localité. Non loin était l’église paroissiale dont il ne reste pas de vestiges.
De documents officiels destinés à établir l’histoire de la commune, il n’y en a pas d’autres que les registres de l’état civil remontant à l’année 1673.
Annexe au titre IV
Il y a déjà longtemps de cela, c’était vers 1825, un instituteur libre, neveu du curé d’alors, faisait la classe au pigeonnier du presbytère. Il avait en tout six élèves. C’était au reste un nombre suffisant pour ce petit réduit.
Plus tard, vers 1835, la commune eut un instituteur public, M. Salivas. On le logea d’une façon très misérable.
Une toute petite salle au rez-de-chaussée attenante à l’église, et transformée depuis en décharge de sacristie ; au premier, une chambrette d’une surface de dix à douze mètres carrés. C’était tout. La commune comprenant l‘insuffisance d’un tel logement, aidée par l’État et le département pour la somme de sept mille francs acheta au prix de neuf mille francs l’immeuble à M.Ségoffin, pour l’école et la maison. Cette acquisition faite le 18 octobre 1865 ne coûte donc que deux mille francs, à la commune. Cette maison de 22 mètres 50 centimètres de façade et d’une profondeur de 12 mètres située au hameau des Sémiols est tout à fait convenable. La classe au rez-de-chaussée est éclairée par deux fenêtres grandes comme des portes s’ouvrant au midi. Les élèves ont un préau couvert pour leurs récréations des jours pluvieux, et une vaste cour plantée d’arbres d’une superficie à 288 mètres carrés. Le logement du maître se compose d’une cuisine, d’une salle à manger, de deux chambres à coucher et d’un salon.
La maison, entre cour et jardin, est vraiment belle et spacieuse, on ne peut désirer mieux pour une campagne.
Cet immeuble construit en 1767 par M. Carrière, docteur en médecine, est devenu quarante ans après la propriété de M. de Lagorais, lequel, l’a ensuite vendu à M. Ségoffin. Il est encore en bon état et n’a besoin, comme toutes les maisons, que de soins et d’entretien. Le jardin d’une contenance de 1089 mètres carrés n’est pas encore en bon état de culture. C’était en juillet 1884 une terre littéralement couverte de moutarde et de chiendent. J’ai résolu de transformer ce fouillis de mauvaises herbes en un jardin utile et agréable, j’y parviendrai. Entre le jardin et la maison est une terrasse de 94 mètres de surface destinée aussi à devenir charmante malgré le vent d’autan qui abîme toutes les fleurs.
Le matériel scolaire est assez bien ; il nous manque un compendium métrique et un gymnase. La place du gymnase est toute trouvée, on pourrait l’établir dans l’ancienne salle à manger à côté de l’écurie.
Il faudrait aussi quelques sièges un peu bas pour la petite pièce à côté de la classe. Je voudrais en faire une salle de couture ; par ce moyen les fillettes ne seraient pas exposées à tacher d’encre leurs petits travaux.
Les élèves appartiennent en majorité à des valets, cela veut dire qu’ils ne sont pas riches. L’achat des livres, des cahiers est une dépense si onéreuse pour leurs parents, que le plus souvent les enfants en manquent. De là, lenteur dans les études. La commune leur rendrait un signalé service si elle se décidait à donner les fournitures de classe. Ce n’est pas seulement par sa présence à l’école que l’enfant apprend, c’est aussi par les devoirs qu’il fait. Cet axiome populaire : à force de forger, on devient forgeron, est surtout vrai pour nos élèves
La fréquentation laisse aussi à désirer. Les parents ont besoin des enfants pour les travaux agricoles, je le sais, cependant il me semble qu’ils pourraient se gêner plus qu’ils ne le font. Et puis, il faut tout dire, si les parents font manquer la classe en été, la lésinerie de la commune la fait manquer en hiver. Malgré l’arrêté ministériel voulant que chaque école soit chauffée aux frais de la commune, celle de Corronsac ne l’est pas, de là absences fréquentes.
Les habitants sont peu instruits, les femmes surtout. Le nec plus ultra de la science pour elles est de tenir un livre à l’église. Les hommes savent généralement lire et écrire. On a compté cette année un conscrit illettré ; sur deux mariages l’an dernier un conjoint n’a pas su signer.
La bibliothèque scolaire, date de 1879. Le nombre de volumes est de 64. Les prêts ont commencé en mars 1880, et se sont élevés jusqu’en juillet 1884 à 85 ; ils se montent aujourd’hui à 402.
On a institué une caisse des écoles, mais elle ne fonctionne pas.
Quant à la caisse d’épargne scolaire, il n’y faut pas penser, mes prédécesseurs ont essayé de l’établir sans succès. Les élèves ne font plus de versements depuis fort longtemps.
Le traitement de l’institutrice est de 800 F.